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Après sa brouille avec son ami et
« seul public » Willelm Fliess, Freud se sentait si seul dans l’élaboration
de sa théorie, qu’il eut l’idée de s’entourer d’un petit cercle de
discussion. A partir de 1902, donc, dans son appartement du 19 Bergasse, se
réunissaient tous les mercredis soir, une dizaine de Viennois, médecins ou
autres qui, ayant lu ses publications, étaient intéressés par ses théories.
Ces réunions se déroulèrent très
régulièrement jusqu’à la guerre de 1914. Grâce à la diligence d’Otto Rank,
un des plus fidèles disciples de Freud, on dispose des comptes-rendus de ces
réunions informelles qui apportent (seulement depuis 1906 malheureusement)
un éclairage passionnant sur les débuts de la Psychanalyse.
Chaque séance comporte une
conférence d’un des participants (ou le rappel d’un texte récent publié par
celui-ci) suivie d’une discussion, à laquelle Freud apporte sa conclusion
sur un ton didactique que les autres semblent admettre bien volontiers.
Tous, sauf un : Alfred Adler, médecin depuis une dizaine d’années. Bien que
de 14 ans son cadet, Adler, « extrêmement intelligent » d’après son
biographe Manès Sperber, a une autorité naturelle ; mais, loin de se situer
dans la contradiction, il prend pour acquise, à cette époque, la théorie
sexuelle des névroses, et s’y soumet sans toutefois avoir recours à une
particulière déférence à l’égard de son créateur. Freud, de son côté,
uniformément courtois avec chacun, montre à l’égard d’Adler, un
“partnership” un
peu particulier qui, malgré les dissensions bientôt apparues, le conduiront
à le nommer Président de la Société Psychanalytique de Vienne (lui-même se
réservant l’international).
En 1908, il y a plus de 20 ans
que les travaux de Freud à la Salpêtrière dans le sillage de Charcot,
l’avait conduit à affirmer l’étiologie purement psychique de l’hystérie.
Et voilà qu’il adhère sans réserve à la théorie d’Adler développée dans son
ouvrage récent : “La
compensation psychique de l’infériorité des organes”.
Retour à l’organicisme, alors qu’il a déjà derrière lui l’essentiel de son
œuvre entièrement tournée vers la psychogenèse ?...
C’est que la théorie d’Adler est
loin d’être ce qu’elle a l’air d’être. Il n’est pas question pour lui de
relier directement un organe à une névrose. La cause de l’hystérie n’est
pas à chercher dans un utérus défaillant (comme on l’a cru dans le passé).
L’angoissé n’a pas le cœur malade, l’obsessionnel une mauvaise organisation
neuronale. Non. Mais Adler, praticien expérimenté, a remarqué dans le
tableau clinique de la plupart des névrosés une faiblesse fonctionnelle de
certains organes qualifiés d’« inférieurs », (défauts de développement, de
maturité ?...) qu’ils appartiennent au système digestif, respiratoire,
musculaire, sensori-moteurs ou tout autres. Bien qu’il eut préféré le terme
de « variabilité » des organes Freud accepte le terme adlérien et c’est
dommage ; “inférieur”,
en effet, a une connotation déplaisante. D’autant plus que ces organes
réputés insuffisants, ont souvent, par un mécanisme de compensation
psychique, comme l’explique Adler, des performances étonnantes. Qu’on
pense à l’hypoacousie de Beethoven ou à l’éloquence du bègue Démosthène !
Plus tard, après la brouille, et
nourrissant une haine persistante à l’égard d’Adler, Freud écrira : « Le
seul organe qui est réellement considéré comme inférieur est le pénis
atrophié, le clitoris de la femme. »
Dans son ouvrage princeps, et
surtout dans le suivant : « Le tempérament nerveux » (1912) Adler
montre que les cas de compensation ou de surcompensations
réussies du sentiment d’infériorité (lié ou non à un déficit
organique) sont ceux qui vont dans le sens utile de la vie, pour soi et pour
la communauté.
Il finit par avancer que ce sont
les déficiences de toutes sortes qui, alimentant chez l’Homme le besoin de
se dépasser, ce que Nietzsche appelle la volonté de puissance, sont
le moteur du progrès humain.
La névrose, comme certains
profils caractériels (autoritarisme, intolérance, vantardise,
“complexe de
supériorité”) ou même des conduites délinquantes sont des tentatives
erronées pour sortir de ce sentiment d’infériorité. Quant au populaire
complexe d’infériorité, fleuron de la très complète et très féconde
théorie adlérienne, sans qu’on rende à son auteur ce qui lui est du, voici
comment Adler le définit : « Le complexe d’infériorité apparaît en face
d’une surcharge exogène trop prononcée chez des sujets ayant toujours montré
un puissant sentiment d’infériorité ».
Le sujet, qui veut à tout prix
préserver ou restaurer un sentiment sécurisant d’estime de soi, va
développer toutes sortes de stratagèmes inconscients pour se mettre à l’abri
des écueils de la vie. Il va se créer un personnage fantasmatique pour qui
“les autres”
seront le moyen de sa sécurité, et non pas ceux avec qui il convient de
collaborer pour un mieux-être personnel et, in fine, de la société
tout entière.
Finalement, pour Adler,
considérant comment, dès l’enfance, la vie n’est qu’un long effort pour
sortir d’une situation “inférieure”
vers une plus haute (le meilleur exemple étant l’apprentissage de la marche)
l’éducation consiste, non pas à éviter à l’enfant ces efforts mais à
l’encourager quand ils sont particulièrement difficiles, par une attitude
et des propos adéquat.
Si les maltraitances de tous
ordres sont de nature à aggraver le sentiment d’infériorité, il y a aussi
dans « Le sens de la vie » (1933) des lignes éloquentes sur le
danger de trop gâter les enfants. « Si l’entourage accable l’enfant de
caresses et de tendresses, sollicitant constamment sa tension émotionnelle,
il lui sera difficile, par la suite de résister à des séductions de toutes
sortes… Si on lui donne trop tôt la possibilité d’imposer sa volonté aux
parents, il voudra toujours dominer les autres…puis, à la suite
d’expériences décevantes il se retirera [éventuellement] dans sa
famille avec tous ses désirs. » (Pierre dans le jardin de Freud, il
ajoute malicieusement : « y compris ses désirs sexuels »). Ou
encore : « L’enfant gâté, incité à l’égocentrisme, montrera…de
l’hypersensibilité, de l’impatience, un manque de persévérance ».
Une originalité méconnue de la
pensée d’Alfred Adler, qui découle de son étude du sentiment d’infériorité
est sa sollicitude à l’égard de la femme. Voyant la condition qui lui est
faite depuis des millénaires, il en arrive à écrire en 1912 : « Un des
faits que ma psychologie m’a permis de mettre en évidence est l’existence
d’un sentiment d’infériorité plus ou moins conscient chez toutes les femmes
et les jeunes filles du fait même qu’elles sont femmes ». (C’est
peut-être une des raisons pour lesquelles Simone de Beauvoir, de même que
Sartre, préféraient Adler à Freud.)
Ses nombreuses pages militantes
pour défendre l’égalité homme-femme devraient figurer en bonne place dans
l’histoire du mouvement féministe.
Pourquoi, alors que le bateau
freudien prend l’eau de toutes parts, pourquoi la psychanalyse adlérienne,
si moderne par certains côtés, est-elle aujourd’hui méconnue ?
La théorie d’Adler, dans son
principe, sa cohérence, son évidente correspondance avec la réalité, sa
fécondité dans les domaines thérapeutique et éducatif, a vu sa faveur, égale
à celle de Freud du vivant des deux hommes, décliner après sa mort. Cela
tient sans doute à ses écrits ; à la maladresse du style, (souvent de
simples comptes-rendus de conférences), décousu, redondant, truffé de
digressions. Les idées sont présentées pêle-mêle, ce qui supprime les effets
de contexte et rend très difficile, malgré la simplicité de la langue et des
démonstrations, une lecture systématique et une tentative de synthèse.
De son côté, Freud a eu pour lui
sa fécondité littéraire, son apport philosophique, son art de créer des
concepts et de les réifier. Tout un monde de mots pour évoquer l’inconscient,
l’aspect le plus mystérieux du psychisme humain.
Sa plus grande opération
“marketing” (si on
ose dire) est sa mainmise sur le mythe universellement connu d’Œdipe pour en
faire l’illustration d’un des aspects les plus importants de sa théorie.
Dans la culture psychanalytique, l’ « œdipe » (devenu nom commun) est le
stade incontournable du développement sexuel de l’enfant, qui,
inconsciemment amoureux de son parent de sexe opposé, souhaite éliminer
l’autre, le concurrent gênant ; et la culpabilité (l’angoisse de “castration”)
qui en découle.
Il faut vraiment le talent
d’illusionniste de Freud pour nous obliger à voir dans cette légende bien
autre chose que ce qu’elle signifie. En effet, toute la mythopée concernant
le destin du roi de Thèbes, décline en réalité, les avatars de la
conquête du pouvoir. Dans une grande partie des légendes du cycle
Thébain, il est surtout question du crime de parricide, l’inceste est à
peine évoqué. La mère à laquelle le héros s’unit est toujours le symbole de
la terre, de la patrie, dont la conquête est le passage obligé vers
le pouvoir. D’ailleurs, Sophocle met sans le savoir dans la bouche de
Jocaste une banalisation pleine de bon sens de la grandiose théorie
freudienne: « Plus d’un mortel a partagé en songe le lit de sa mère. Pour
qui sait surmonter ces frayeurs, comme la vie est plus simple ! ».
Certes, l’inceste est un crime, mais foin de tout ce fatras inconscient !
La lecture que Freud a fait
d’Œdipe-Roi est superficielle. Plus “malin”
qu’intelligent dans ce cas, il en a fait surgir, grâce à quelques traits
frappants, une confirmation de ses « passe-partout » (comme il appelle
lui-même sa terminologie ad hoc), sans même se soucier des contradictions
issues de sa propre théorie. Ainsi, en 1905, dans les « Trois essais... »,
il expose la thèse suivant laquelle le développement de la sexualité, si
précoce chez l’enfant, est « étayé » sur le plaisir nutritif de la succion
du sein. Or le sein qu’Œdipe a sucé n’est pas celui de Jocaste puisque Laïos
le lui a arraché, nourrisson, pour le vouer à la mort, en raison de la
funeste prophétie.
Il faut noter aussi que le
meurtre de l’inconnu qui se trouve être le père précède la rencontre avec
cette mère dont il est supposé être amoureux.
Un autre aspect de ses
« passe-partout » mérite d’être signalé. Il est entendu qu’une seule énigme
taraude les petits : comment fait-on les enfants ? C’est donc
obligatoirement de cela qu’il s’agit dans celle du Sphinx : Quel est
l’animal qui marche à quatre pattes le matin, à deux pattes à midi et à
trois pattes le soir ? Pour le Sphinx : l’Homme, évidemment ; bébé, puis
adulte, et enfin, vieux avec sa canne. Si seulement, à l’époque, Œdipe
avait pu être analysé, il aurait vu, bien sûr cachée derrière la métaphore
l’inévitable “bête
à deux dos” !
Au cours de leur collaboration,
Freud reprocha un jour à Adler de s’intéresser moins à la psychanalyse
(scientifique), qu’à la psychologie (empirique), façon, lui dit-il, de
parvenir plus vite à la médecine. C’est assez montrer que Freud était
beaucoup moins préoccupé par la guérison que par la recherche.
Oui. Adler est un
médecin-psychologue, et la recherche en psychologie n’a d’autre but pour lui
que d’améliorer le sort des êtres humains.
Il se trouve que Sophocle aussi
est un grand psychologue ; un tragédien, un poète épique, certes, mais son
personnage d’Œdipe a une densité humaine qu’on ne trouve pas chez d’autres
auteurs ayant traité le sujet, d’Euripide et Sénèque à Voltaire, Corneille
ou Cocteau.
Pourquoi Adler ne s’est-il pas
emparé, lui aussi du mythe d’Œdipe car, si étonnant que ça puisse paraître,
une lecture naïve d’Œdipe-Roi nous raconte une histoire typiquement
adlérienne :
On sait que le bébé Œdipe a eu
les pieds percés et attachés par un lien avant la cruelle exposition sur le
mont Cithéron. Cette infirmité qui, dit-il lui-même, a marqué son enfance,
lui a valu son nom ; Œdipe signifie “pied
enflé”. Nous voyons là un handicap physique créateur de sentiment
d’infériorité renforcé.
Recueilli par le roi et la reine
de Corinthe privés jusque-là d’héritier, on a tout lieu de penser que le
petit infirme fut un enfant gâté : « tendrement chéri » dit-il et « considéré
là-bas comme le premier des citoyens ». Apprenant la mort de Polybe, son
père adoptif, il l’impute au chagrin de son départ.
Ces éléments jettent une lumière
toute adlérienne sur le caractère du futur roi de Thèbes. « Le caractère
c’est le destin » dit Hérodote qu’aimait citer Adler.
Sophocle nous dépeint Œdipe comme
un homme vaniteux, irascible, égocentrique, soupçonneux jusqu’aux limites de
la paranoïa. Un jeune homme qui n’hésite pas à tuer quatre personnes (dont
un vieillard) parce qu’on lui refuse la priorité à un carrefour,
considérant donc que tout lui est du, c’est l’attitude prévalente de
l’enfant gâté. « J’ai tué tout le monde » raconte-t-il fièrement,
revendiquant même le rescapé.
Certes, Œdipe a le sens de
l’Etat, mais il en fait étalage et n’oublie jamais sa personne, ainsi qu’en
témoigne sa douleur ostentatoire quand la peste s’abat sur Thèbes : « Alors
que chacun n’est atteint que par sa propre douleur, mon cœur gémit tout
ensemble sur la ville, sur moi, sur toi… »
Œdipe sait tout avant et mieux
que tout le monde. S’il n’hésite pas à imputer aux dieux et à la fatalité
l’horreur de son crime, en revanche le surnaturel n’a eu aucune part dans
son succès avec le Sphinx. « Le premier venu ne pouvait en venir à bout.
On l’a bien vu, ni les dieux ni les oiseaux n’ont rien révélé [au devin
Tirésias.] C’est alors qu’Œdipe (noter la troisième personne) se
présente ; il n’est instruit de rien, il ne consulte pas les oiseaux : par
un simple effort de réflexion, il en termine avec le monstre » ! On peut
supposer que l’ “effort
de réflexion” a été facilité par le fait que l’énigme avait un rapport avec
le handicap physique d’Œdipe puisqu’elle avait trait à la marche.
A peine effleurée, l’idée du
complot fomenté par son beau-frère Créon pour prendre sa place devient
réalité. « Toi ici ?... Comment as-tu osé… Mais voyez de quel front il se
présente au palais, lui qui, de toute évidence en veut à ma vie, lui, cet
aventurier, l’usurpateur avéré de mon trône ! » La légendaire sagesse de
Créon déboulonne provisoirement la véhémence d’Œdipe. Mais on ne
“coince” pas Œdipe.
L’échec lui est insupportable et il le dit : « Si je demeure sans
réaction, il a gagné d’avance, je suis mis en échec ». L’exil (que Créon
lui accorde plus tard bien volontiers) n’est pas suffisant. « Pas si
bête, dit-il, je veux ta mort, non ta fuite ». L’enfant gâté, avant
tout, veille à sa propre sûreté. Créon, lui aussi est bon psychologue ; il
voit bien qu’Œdipe a « l’esprit brouillé » et conclut : « Des
natures comme la tienne sont des fléaux pour elles-mêmes ».
Avec Jocaste Œdipe est tout aussi
blessant. Comme cette femme, (de très loin son aînée ne l’oublions pas) lui
demande humblement de partager ses inquiétudes : « Je ne peux te refuser
cela quand je vois le peu d’espoir qui me reste » répond-il. Œdipe –et on
le comprend- caresse toutes sortes de fantasmes avant d’admettre la réalité
de son crime. Mais ces fantasmes montrent toujours son égocentrisme et sa
vanité.. Enfin, quand les preuves de sa fausse filiation ne sont plus
contestables, l’idée la plus insupportable, la plus intolérable qui le
saisisse est qu’il puisse être un fils d’esclave. Alors, éclatent dans toute
leur ampleur les manifestations de son complexe d’infériorité. Ce n’est plus
sa femme qu’il a devant lui, une simple femme qu’il peut dominer, mais la
reine. Il est esclave, peut-être, mais pas son esclave. Sa protestation de
puissance virile apparaît avec force dans les répliques suivantes :
- N’aie pas peur ; quand je
me découvrirais esclave depuis la troisième génération, le déshonneur n’en
sera pas pour toi.
- Je t’en supplie, écoute-
moi, laisse tout cela… C’est pour ton bien ; je te donne le plus sage
conseil.
- Je commence à en être las
de tes sages conseils… Laissez-là tirer vanité de sa riche famille… Pour
moi, même basse, je veux connaître ma naissance… Les femmes sont
vaniteuses ! Celle-ci peut bien rougir de mon humble origine. Moi, je me
proclame l’enfant de la Fortune ! La Fortune m’a bien doté, je ne la
renierai pas. C’est elle ma véritable mère.
Œdipe nous rappelle par ces
derniers mots qu’il a bien compensé son infériorité. Car s’il est devenu le
seigneur de ce royaume, il ne le doit qu’à son intelligence. Malheureusement
sa fiction directrice, l’assertion de puissance de son ego
étaient si éloignées du sens commun qu’elles ont finalement
causé sa perte. S’il avait eu un brin de ce qu’Adler appelle le
sentiment de communauté, il n’aurait pas répondu à un coup de bâton par
un quadruple meurtre. Il n’aurait donc pas tué son père ni, par conséquent
épousé sa mère.
Ainsi que bien des auteurs l’ont
noté, l’histoire d’Œdipe, si on s’en tient aux faits n’a que peu de rapport
avec la libido infantile. En effet il est incestueux et parricide sans le
savoir. D’autre part l’amour et la haine ont apparemment peu de choses à
voir dans cette affaire.
La théorie freudienne répond à
cela que le mythe, comme le rêve ou le symptôme ne laissent filtrer qu’une
part infime de la vérité de l’être. Les déformations sont destinées à
masquer un inconscient trop culpabilisant.
Dans cette optique, nous devons
constater que Sophocle n’était pas freudien. Coupable son Œdipe ? Pas le
moins du monde ! Œdipe-Roi ainsi qu’Œdipe à Colone sont au
contraire un long plaidoyer “not-guilty”.
Nous avons déjà montré comment la
Fatalité est tour à tour invoquée ou récusée suivant qu’elle préserve ou
menace le sentiment de sa valeur. En apprenant son crime, Œdipe montre-t-il
quelque chose qui ressemble à de la honte, du remord, l’attente d’un juste
châtiment ? Pas du tout. Il “crâne”.
Il rappelle que c’est lui qui a voulu cette enquête. Et du reste, enfant
abandonné il avait une excuse.
S’il était honteux, il se
cacherait ; il attendrait humblement le salaire de ses crimes. Au lieu de
cela nous assistons à une exhibition complaisante de son malheur. Ses « maux...à
la mesure d’aucun mortel » sont brandis comme des trophées. Il se maudit
et se bannit lui-même. Quant au châtiment il n’attend pas qu’il lui soit
donné par un esclave comme c’était l’usage pour les parricides ; il le fait
lui-même et avec quelle démesure ostentatoire ! Quand on lui en demande la
raison il invoque l’Olympe : Apollon et lui sont les seuls auteurs de son
supplice.
L’orgueil blessé d’Œdipe est
exaspéré. Il ne supporte plus d’avis de personne. Au contraire, il dispense
à la ronde conseils, recommandations, prophéties et même bénédictions. A tel
point que le placide Créon finit par lui dire, avant de l’emmener de force :
« Tu voudras donc toujours être le maître » ?
Ainsi se termine Œdipe-Roi. A
Colone, le héros abattu a retrouvé toute sa stature. Une légende prédisant
la prospérité au pays qui posséderait son tombeau, il ne pense plus qu’à
faire le don précieux de sa personne (morte) à Thésée roi d’Athènes, plutôt
qu’à Créon le rival abhorré.
Si on fait de cette tragédie une
lecture adlérienne, on voit que le véritable moteur psychologique d’Œdipe
n’est pas la libido mais le désir de puissance, de pouvoir. Pouvoir
physique (quadruple meurtre) ; pouvoir intellectuel (résolution de
l’énigme) ; pouvoir politique (conquête du royaume).
Le tragique vient de son
caractère et non d’une fatalité. Souffrant depuis l’enfance d’un fort
sentiment d’infériorité dû à son infirmité, non préparé à la coopération par
sa situation de fils unique, Œdipe s’est fabriqué un style de vie
névrotique tel que le décrit Adler : susceptibilité, exagération, vanité,
excès de précaution, fuite devant la réalité, rumination de ses craintes,
mépris de la femme etc.
Evidemment nous sommes loin de la
subtile dialectique freudienne. Mais tant qu’à démythifier...
Voici la conclusion d’Adler, dont
la bonhomie naturelle fut quelquefois qualifiée de simpliste : « Quel
homme riche, bien de sa personne et dans la fleur de l’âge, s’engagerait
dans une histoire avec une vieille femme, à moins que cela ne lui apporte...
un royaume ou tout autre avantage qu’il ne pourrait jamais obtenir autrement » ?
Pour en savoir plus sur Adler, on peut se procurer une anthologie de ses principaux textes : "La psychologie sociopersonnelle d'Alfred Adler". Prendre contact avec le site.
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