FREUD, ADLER ET LE “COMPLEXE” DU ROI ŒDIPE. (Juin 2010)
   

 

Après sa brouille avec son ami et « seul public »  Willelm Fliess, Freud se sentait si seul dans l’élaboration de sa théorie, qu’il eut l’idée de s’entourer   d’un petit cercle de discussion. A partir de 1902, donc, dans son appartement du 19 Bergasse, se réunissaient tous les mercredis soir, une dizaine de Viennois, médecins ou autres qui, ayant lu ses publications, étaient intéressés par ses théories.

Ces réunions se déroulèrent très régulièrement jusqu’à la guerre de 1914. Grâce à la diligence d’Otto Rank, un des plus fidèles disciples de Freud, on dispose des comptes-rendus de ces réunions informelles qui apportent (seulement depuis 1906 malheureusement)  un éclairage passionnant sur les débuts de la Psychanalyse.

Chaque séance comporte une conférence d’un des participants (ou le rappel d’un texte récent publié par celui-ci) suivie d’une discussion, à laquelle Freud apporte sa conclusion sur un ton didactique que les autres semblent admettre bien volontiers. Tous, sauf un : Alfred Adler, médecin depuis une dizaine d’années.  Bien que de 14 ans son cadet, Adler, « extrêmement intelligent » d’après son biographe Manès Sperber, a une autorité naturelle ;  mais, loin de se situer dans la contradiction, il prend pour acquise, à cette époque,  la théorie sexuelle des névroses, et s’y soumet  sans toutefois avoir recours à une particulière déférence à l’égard de son créateur. Freud, de son côté, uniformément  courtois avec chacun, montre  à l’égard d’Adler, un partnership” un peu particulier qui, malgré les dissensions bientôt apparues, le conduiront à le nommer Président de la Société Psychanalytique de Vienne (lui-même se réservant l’international).

En 1908, il y a plus de 20 ans que les travaux de Freud à la Salpêtrière dans le sillage de Charcot,  l’avait conduit à affirmer  l’étiologie purement  psychique de l’hystérie. Et voilà qu’il adhère sans réserve à la théorie d’Adler développée dans son ouvrage  récent : La compensation psychique de l’infériorité des organes. Retour à l’organicisme, alors qu’il a déjà derrière lui l’essentiel de son œuvre entièrement tournée vers la psychogenèse ?...

C’est que la théorie d’Adler est loin d’être ce qu’elle a l’air d’être. Il n’est pas question pour lui de relier directement un organe à une névrose. La cause  de l’hystérie n’est pas à chercher dans un utérus défaillant (comme on l’a cru dans le passé). L’angoissé n’a pas le cœur malade, l’obsessionnel une mauvaise organisation neuronale. Non. Mais Adler, praticien expérimenté, a remarqué dans le tableau clinique de la plupart des névrosés une faiblesse fonctionnelle de certains organes qualifiés d’« inférieurs », (défauts de développement, de maturité ?...) qu’ils appartiennent au système digestif, respiratoire, musculaire,  sensori-moteurs ou tout autres. Bien qu’il eut préféré le terme de « variabilité » des organes Freud accepte le terme adlérien  et c’est dommage ; inférieur”, en effet, a une connotation déplaisante. D’autant plus que ces organes réputés insuffisants,  ont souvent, par un mécanisme de compensation psychique, comme l’explique Adler, des performances étonnantes. Qu’on pense à l’hypoacousie de Beethoven ou à l’éloquence du bègue Démosthène !

Plus tard,  après la brouille, et nourrissant une haine persistante à l’égard d’Adler, Freud écrira : « Le seul organe qui est réellement considéré comme inférieur est le pénis atrophié, le clitoris de la femme. »

Dans son ouvrage princeps, et surtout dans le suivant : « Le tempérament nerveux » (1912) Adler montre que les cas de compensation  ou de surcompensations réussies du sentiment d’infériorité (lié ou non à un déficit organique) sont ceux qui vont dans le sens utile de la vie, pour soi et pour la communauté.

Il  finit par avancer que ce sont les déficiences de toutes sortes qui, alimentant chez l’Homme le besoin de se dépasser, ce que Nietzsche appelle la  volonté de puissance, sont le moteur du progrès humain.

La névrose, comme certains profils caractériels (autoritarisme, intolérance,  vantardise, complexe de supériorité”) ou même des conduites délinquantes sont des tentatives erronées pour sortir de ce sentiment d’infériorité. Quant au populaire complexe d’infériorité, fleuron de la très complète et très féconde théorie adlérienne, sans qu’on  rende à son auteur ce qui lui est du, voici comment Adler le définit : « Le complexe d’infériorité apparaît en face d’une surcharge exogène trop prononcée chez des sujets ayant toujours montré un puissant sentiment d’infériorité ».

Le sujet, qui veut à tout prix préserver ou restaurer un sentiment sécurisant d’estime de soi, va développer toutes sortes de stratagèmes inconscients pour se mettre à l’abri des écueils de la vie. Il va se créer un personnage fantasmatique pour qui les autres” seront le moyen de sa sécurité, et non pas ceux avec qui il convient de collaborer pour un mieux-être personnel et, in fine, de la société tout entière.

Finalement, pour Adler, considérant comment, dès l’enfance, la vie n’est qu’un long effort pour sortir d’une situation inférieure” vers une plus haute (le meilleur exemple étant l’apprentissage de la marche) l’éducation consiste, non pas à éviter à l’enfant ces efforts mais à l’encourager  quand ils sont particulièrement difficiles, par une attitude et des propos adéquat.

Si les maltraitances de tous ordres sont de nature à aggraver le sentiment d’infériorité, il y a aussi dans  « Le sens de la vie » (1933) des lignes éloquentes sur le danger de trop gâter les enfants. « Si l’entourage accable l’enfant de caresses et de tendresses, sollicitant constamment sa tension émotionnelle, il lui sera difficile, par la suite de résister à des séductions de toutes sortes… Si on lui  donne trop tôt la possibilité d’imposer sa volonté aux parents, il voudra toujours dominer les autres…puis, à la suite d’expériences décevantes il  se retirera [éventuellement] dans sa famille avec tous ses désirs. » (Pierre dans le jardin de Freud, il ajoute malicieusement : « y compris ses désirs sexuels »). Ou encore : « L’enfant gâté, incité à l’égocentrisme, montrera…de l’hypersensibilité, de l’impatience, un manque de persévérance ».

Une originalité méconnue de la pensée d’Alfred Adler, qui découle de son étude du sentiment d’infériorité est sa sollicitude à l’égard de la femme. Voyant la condition qui lui est faite depuis des millénaires, il en arrive à écrire en 1912 : « Un des faits que ma psychologie m’a permis de mettre en évidence est l’existence d’un sentiment d’infériorité plus ou moins conscient chez toutes les femmes et les jeunes filles du fait même qu’elles sont femmes ». (C’est peut-être une des raisons pour lesquelles Simone de Beauvoir, de même que Sartre, préféraient Adler à Freud.)

Ses nombreuses pages militantes pour défendre l’égalité homme-femme devraient figurer en bonne place dans l’histoire du mouvement féministe.   

Pourquoi, alors que le bateau freudien prend l’eau de toutes parts, pourquoi la psychanalyse adlérienne, si moderne par certains côtés, est-elle aujourd’hui méconnue ? 

La théorie d’Adler, dans son principe, sa cohérence, son évidente correspondance avec la réalité, sa fécondité dans les domaines thérapeutique et éducatif, a vu sa faveur, égale à celle de Freud du vivant des deux hommes, décliner après sa mort. Cela tient sans doute à ses écrits ; à la maladresse du style, (souvent de simples comptes-rendus de conférences), décousu, redondant, truffé de digressions. Les idées sont présentées pêle-mêle, ce qui supprime les effets de contexte et rend très difficile, malgré la simplicité de la langue et des démonstrations, une lecture systématique et une tentative de synthèse. 

De son côté, Freud a eu pour lui sa fécondité littéraire, son apport philosophique, son art de créer des concepts et de les réifier. Tout un monde de mots pour évoquer l’inconscient, l’aspect le plus mystérieux du psychisme humain. 

Sa plus grande opération marketing” (si on ose dire) est sa mainmise sur le mythe universellement connu d’Œdipe pour en faire l’illustration  d’un des aspects les plus importants de sa théorie. Dans la culture psychanalytique, l’ « œdipe »  (devenu nom commun) est le stade incontournable du développement sexuel de l’enfant, qui, inconsciemment amoureux de son parent de sexe opposé, souhaite éliminer l’autre, le concurrent gênant ; et la culpabilité (l’angoisse de castration”) qui en découle. 

Il faut vraiment le talent d’illusionniste de Freud pour  nous obliger à voir dans cette légende bien autre chose que ce qu’elle signifie. En effet, toute la mythopée concernant le destin du roi de Thèbes, décline en réalité, les avatars de la conquête du pouvoir. Dans une grande partie des légendes du cycle Thébain, il est surtout question  du crime  de parricide, l’inceste est à peine évoqué. La mère à laquelle le héros s’unit est toujours le symbole de la terre, de la patrie, dont la conquête est le  passage obligé vers le pouvoir. D’ailleurs, Sophocle met sans le savoir dans la bouche de Jocaste une banalisation pleine de bon sens de la grandiose théorie freudienne: « Plus d’un mortel a partagé en songe le lit de sa mère. Pour qui sait surmonter ces frayeurs, comme la vie est plus simple ! ». Certes, l’inceste est un crime, mais foin de tout ce fatras inconscient ! 

 La lecture que Freud a fait d’Œdipe-Roi est  superficielle. Plus malin” qu’intelligent dans ce cas, il en a fait surgir, grâce à quelques traits frappants, une confirmation de ses « passe-partout » (comme il appelle lui-même sa terminologie ad hoc), sans même se soucier des contradictions issues de sa propre théorie. Ainsi, en 1905, dans les « Trois essais... », il expose la thèse suivant laquelle le développement de la sexualité, si précoce  chez l’enfant,  est « étayé » sur le plaisir nutritif de la succion du sein. Or le sein qu’Œdipe a sucé n’est pas celui de Jocaste puisque Laïos le lui a arraché, nourrisson, pour le vouer à la mort, en raison de la funeste prophétie.

Il faut noter aussi que le meurtre de l’inconnu qui se trouve être le père précède la rencontre avec cette mère dont il est supposé être amoureux.

 Un autre aspect de ses « passe-partout » mérite d’être signalé. Il est entendu qu’une seule énigme taraude les petits : comment fait-on les enfants ? C’est donc obligatoirement de cela qu’il s’agit dans celle du Sphinx : Quel est l’animal qui marche à quatre pattes le matin, à deux pattes à midi et à trois pattes le soir ?  Pour le Sphinx : l’Homme, évidemment ; bébé, puis adulte, et enfin, vieux avec sa canne. Si seulement, à l’époque,  Œdipe avait pu être analysé, il aurait vu, bien sûr cachée derrière  la métaphore l’inévitable bête à deux dos” ! 

Au cours de leur collaboration, Freud reprocha un jour à Adler de s’intéresser moins à la psychanalyse (scientifique), qu’à la psychologie (empirique),  façon, lui dit-il, de parvenir plus vite à la médecine. C’est assez montrer que Freud était beaucoup moins préoccupé par la guérison que par la recherche.

Oui. Adler est un médecin-psychologue, et la recherche en psychologie n’a d’autre but pour lui que d’améliorer le sort des êtres humains.

 Il se trouve que Sophocle aussi est un grand psychologue ; un tragédien, un poète épique, certes, mais  son personnage d’Œdipe a une densité humaine qu’on ne trouve pas chez d’autres auteurs ayant  traité le sujet, d’Euripide et Sénèque à Voltaire, Corneille ou Cocteau.  

 Pourquoi Adler ne s’est-il pas emparé, lui aussi du mythe d’Œdipe car, si étonnant que ça puisse paraître, une lecture naïve  d’Œdipe-Roi nous raconte une histoire typiquement adlérienne :

On sait que le bébé Œdipe a eu les pieds percés et attachés par un lien avant la cruelle exposition sur le mont Cithéron. Cette infirmité qui, dit-il lui-même, a marqué son enfance, lui a valu son nom ; Œdipe signifie pied enflé”. Nous voyons là un handicap physique créateur de sentiment d’infériorité renforcé.

Recueilli par le roi et la reine de Corinthe privés jusque-là d’héritier, on a tout lieu de penser que le petit infirme fut  un enfant gâté : « tendrement chéri » dit-il et « considéré là-bas comme le premier des citoyens ». Apprenant la mort de Polybe, son père adoptif,  il l’impute au chagrin de son départ.

Ces  éléments jettent une lumière toute adlérienne sur le caractère du futur roi de Thèbes. « Le caractère c’est le destin » dit Hérodote qu’aimait citer Adler.

Sophocle nous dépeint Œdipe comme un homme vaniteux, irascible, égocentrique, soupçonneux jusqu’aux limites de la paranoïa. Un jeune homme qui  n’hésite pas à tuer quatre personnes (dont un vieillard) parce qu’on lui  refuse la priorité à un carrefour, considérant donc que tout lui est du, c’est l’attitude prévalente de l’enfant gâté. « J’ai tué tout le monde » raconte-t-il fièrement, revendiquant même le rescapé.

Certes, Œdipe a le sens de l’Etat, mais il en fait étalage et n’oublie jamais sa personne, ainsi qu’en témoigne sa douleur ostentatoire quand la peste s’abat sur Thèbes : « Alors que chacun n’est atteint que par sa propre douleur, mon cœur gémit tout ensemble sur la ville, sur moi, sur toi… »

Œdipe sait tout avant et mieux que tout le monde. S’il n’hésite pas à imputer aux dieux et à la fatalité l’horreur de son crime, en revanche le surnaturel n’a eu aucune part dans son succès avec le Sphinx. « Le premier venu ne pouvait en venir à bout. On l’a bien vu, ni les dieux ni les oiseaux n’ont rien révélé [au devin Tirésias.] C’est alors  qu’Œdipe (noter la troisième personne) se présente ; il n’est instruit de rien, il ne consulte pas les oiseaux : par un simple effort de réflexion, il en termine avec le monstre » ! On peut supposer que l’ effort de réflexion” a été facilité par le fait que l’énigme avait  un rapport avec le handicap physique d’Œdipe puisqu’elle avait trait à la marche.

A peine effleurée, l’idée du complot fomenté par son beau-frère Créon pour prendre sa place devient réalité. « Toi ici ?... Comment as-tu osé… Mais voyez de quel front il se présente au palais, lui qui, de toute évidence en veut à ma vie, lui, cet aventurier, l’usurpateur avéré de mon trône ! » La légendaire sagesse de Créon déboulonne provisoirement la véhémence d’Œdipe. Mais on ne coince” pas Œdipe. L’échec lui est insupportable et il le dit : « Si je demeure sans réaction, il a gagné d’avance, je suis mis en échec ». L’exil (que Créon lui accorde plus tard bien volontiers) n’est pas suffisant. « Pas si bête, dit-il, je veux ta mort, non ta fuite ». L’enfant gâté, avant tout, veille à sa propre  sûreté. Créon, lui aussi est bon psychologue ; il voit bien qu’Œdipe a « l’esprit brouillé » et conclut : « Des natures comme la tienne sont des fléaux pour elles-mêmes ».

Avec Jocaste Œdipe est tout aussi blessant. Comme cette femme, (de très loin son aînée ne l’oublions pas) lui demande humblement de partager ses inquiétudes : « Je ne peux te refuser cela quand je vois le peu d’espoir qui me reste » répond-il. Œdipe –et on le comprend- caresse toutes sortes de fantasmes avant d’admettre la réalité de son crime. Mais ces fantasmes montrent toujours son égocentrisme et sa vanité.. Enfin, quand les preuves de sa fausse filiation ne sont plus contestables, l’idée la plus insupportable, la plus intolérable qui le saisisse est qu’il puisse être un fils d’esclave. Alors, éclatent dans toute leur ampleur les manifestations de son complexe d’infériorité. Ce n’est plus sa femme qu’il a devant lui, une simple femme qu’il peut dominer, mais la reine. Il est esclave, peut-être, mais pas son esclave. Sa protestation de puissance virile apparaît avec force dans les répliques suivantes :

-  N’aie pas peur ; quand je me découvrirais  esclave depuis la troisième génération, le déshonneur n’en sera pas pour toi.

-  Je t’en supplie, écoute- moi, laisse tout cela… C’est pour ton bien ; je te donne le plus sage conseil.

-  Je commence à en être las de tes sages conseils… Laissez-là tirer vanité de sa riche famille… Pour moi, même basse, je veux connaître ma naissance… Les femmes sont vaniteuses ! Celle-ci peut bien rougir de mon humble origine. Moi, je me proclame l’enfant de la Fortune ! La Fortune m’a bien doté, je ne la renierai pas. C’est elle ma véritable mère.

Œdipe nous rappelle par ces derniers mots qu’il a bien compensé son infériorité. Car s’il est devenu le seigneur de ce royaume, il ne le doit qu’à son intelligence. Malheureusement sa fiction directrice, l’assertion de puissance de son ego étaient si éloignées du sens commun qu’elles ont finalement causé sa perte. S’il avait eu un brin de ce qu’Adler appelle le  sentiment de communauté,  il n’aurait pas répondu à un coup de bâton par un quadruple meurtre. Il n’aurait donc pas tué son père ni, par conséquent épousé sa mère.

Ainsi que bien des auteurs l’ont noté, l’histoire d’Œdipe, si on s’en tient aux faits n’a que peu de rapport avec la libido infantile. En effet il est incestueux et parricide sans le savoir. D’autre part l’amour et la haine ont apparemment peu de choses à voir dans cette affaire.

La théorie freudienne répond à cela que le mythe, comme le rêve ou le symptôme ne laissent filtrer qu’une part infime de la vérité de l’être. Les déformations sont destinées à masquer un inconscient trop culpabilisant.

Dans cette optique, nous devons constater que Sophocle n’était pas freudien. Coupable son Œdipe ? Pas le moins du monde ! Œdipe-Roi ainsi qu’Œdipe à Colone sont au contraire un long plaidoyer not-guilty”.

Nous avons déjà montré comment la Fatalité est tour à tour invoquée ou récusée suivant qu’elle préserve ou menace le sentiment de sa valeur. En apprenant son crime, Œdipe montre-t-il quelque chose qui ressemble à de la honte, du remord, l’attente d’un juste châtiment ? Pas du tout. Il crâne”. Il rappelle que c’est lui qui a voulu cette enquête. Et du reste, enfant abandonné il avait une excuse.

S’il était honteux, il se cacherait ; il attendrait humblement le salaire de ses crimes. Au lieu de cela nous assistons à une exhibition complaisante de son malheur. Ses « maux...à la mesure d’aucun mortel » sont brandis comme des trophées. Il se maudit et se bannit lui-même. Quant au châtiment il n’attend pas qu’il lui soit donné par un esclave comme c’était l’usage pour les parricides ; il le fait lui-même et avec quelle démesure ostentatoire ! Quand on lui en demande la raison il invoque l’Olympe : Apollon et lui sont les seuls auteurs de son supplice.

L’orgueil blessé d’Œdipe est exaspéré. Il ne supporte plus d’avis de personne. Au contraire, il dispense à la ronde conseils, recommandations, prophéties et même bénédictions. A tel point que le placide Créon finit par lui dire, avant de l’emmener de force : « Tu voudras donc toujours être le maître » ? 

Ainsi se termine Œdipe-Roi. A Colone, le héros abattu a retrouvé toute sa stature. Une légende prédisant la prospérité au pays qui posséderait son tombeau, il ne pense plus qu’à faire le don précieux de sa personne (morte) à Thésée roi d’Athènes, plutôt qu’à Créon le rival abhorré. 

Si on fait de cette tragédie une lecture adlérienne, on voit que le véritable moteur psychologique d’Œdipe n’est pas la libido mais le désir de puissance,  de pouvoir. Pouvoir physique (quadruple meurtre) ; pouvoir intellectuel (résolution de l’énigme) ; pouvoir politique (conquête du royaume).

 Le tragique vient de son caractère et non d’une fatalité. Souffrant depuis l’enfance d’un fort sentiment d’infériorité dû à son infirmité, non préparé à la coopération par sa situation de fils unique, Œdipe s’est fabriqué un style de vie névrotique tel que le décrit Adler : susceptibilité, exagération, vanité, excès de précaution, fuite devant la réalité, rumination de ses craintes, mépris de la femme etc.

Evidemment nous sommes loin de la subtile dialectique freudienne. Mais tant qu’à démythifier...

Voici la conclusion d’Adler, dont la bonhomie naturelle fut quelquefois qualifiée de simpliste : « Quel homme riche, bien de sa personne et dans la fleur de l’âge, s’engagerait dans une histoire avec une vieille femme, à moins que cela ne lui apporte... un royaume ou tout autre avantage qu’il ne pourrait jamais obtenir autrement » ?


Pour en savoir plus sur Adler, on peut se procurer une anthologie de ses principaux textes : "La psychologie sociopersonnelle d'Alfred Adler". Prendre contact avec le site.